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Lettre écrite par le Général de La Laurencie, en possession de Mère Chantal de Tournemire – Abbaye du Rivet
(Les passages en italique sont ..."NDLR")

 

Rien ne permet de penser que dans sa prime jeunesse Marie Louis Guillaume de Tournemire ait envisagé une autre carrière que celle d'officier. Fils d'un officier de cavalerie, il serait lui-même officier et si possible cavalier.

Reçu au concours de l'Ecole Spéciale Militaire en 1920, Guillaume de Tournemire fut un excellent saint-cyrien. En dépit d'un sang un peu chaud, il accepta avec bonne humeur les contraintes de la discipline que la vieille école, dans ce couvent-caserne, imposait avec rudesse et sévérité à ses élèves en première année tout au moins. Esprit toujours en éveil ayant alors peut-être plus de goût de l'action que celui de l'étude, ses qualités d'entrain, d'énergie, d'enthousiasme, son adresse à tous les exercices militaires permirent à Guillaume de Tournemire d'accéder à la section de Cavalerie.( Francis VERNHOL, le fils de son meilleur ami, major de leur promotion ("la Devise du Drapeau") dont il sortirai major,  me disait que, sorti dans un très mauvais rang,  il avait été "repêché"  pour une affectation dans la cavalerie)

De son passage à l'Ecole de Cavalerie, le Sous-lieutenant de Tournemire ne gardait que de joyeux souvenirs. Bien sûr il était cavalier mais à vrai dire il n'était pas, il n'a jamais été à genoux devant le "cheval-dieu". Le dressage, l'équitation savante n'étaient pas le fait de ce vigoureux cavalier d'extérieur. Ses instructeurs d'alors n'ont peut-être pas décelé chez lui ses qualités de perçant, de coup d'œil, d'initiative qui sont la marque du vrai cavalier puisqu'à la fin de son stage, il est affecté en octobre 1923 à Batna où ne se sont jamais retrouvés les premiers du classement de sortie de Saumur.

Passé en 1924 au 23ième Spahis Marocain (pratiquement un "bataillon disciplinaire"), il prit part avec son escadron aux opérations de la "Guerre du RIF" en 1925 – sans éclat particulier disait il;  aussi dès le début de l'année 1926, il obtenait son affectation au Service des Renseignements du Maroc, devenu en 1927, Service des Affaires Juridiques. Le Lieutenant de Tournemire pensait ainsi, avec raison d'ailleurs, pouvoir satisfaire pleinement son goût de l'action indépendante. Il entrait en effet dans un corps où une large initiative était laissée à ceux qui, …dans les "postes de l'avant" devaient accomplir une tâche passionnante, l'action politique y primait souvent l'action militaire.

"Officier des Affaires Juridiques de l'Avant", Guillaume de Tournemire le sera six années durant dans la même région des Confins Sud du Maroc qui s'étend de la barrière montagneuse du Grand Atlas jusqu'au delà de la grande palmeraie alors insoumise au Tafilalet.

Cette marche frontière se situait bien au delà des limites de ce que l'on appelait alors le "Maroc utile…" C'était, et c'est encore du reste, un pays pré-saharien ; la vie s'y concentre dans de minces rubans de palmeraies parsemées de villages forteresses échelonnées le long d'une rivière où l'eau ne coule que par intermittence ; partout ailleurs de grandes étendues désertiques où régnait l'insécurité.

C'est dans ce pays austère, au milieu d'hommes rudes, pauvres et fiers, que Guillaume de Tournemire va remplir sa mission sans initiation théorique préalable, sous la tutelle légère et lointaine d'un chef qui lui fait confiance. Pendant 30 mois, il mènera seul l'action politique et administrative au poste d'AOUFOUS qui commande sur 40 kilomètres l'étroite vallée du ZIZ ; en même temps, son activité incessante avec les partisans en bordure de la dissidence maintiendra dans son "bled" une sécurité malgré tout précaire. A AOUFOUS, il fait vraiment de "brakem" c'est à dire celui qui arbitre mais qui au besoin commande quand l'intérêt supérieur est en jeu.

D'esprit essentiellement pragmatique et sans préjugés, ayant acquis son savoir "sur le tas", Guillaume de Tournemire fut de ceux pour qui LYAUTEY restait le Maître alors qu'il n'était plus le "patron". C'est à dire qu'il agissait dans l'esprit du Protectorat plutôt que suivant la lettre de textes qu'il ignorait la plupart du temps. En tout cas, il ne pouvait pas être de ceux auxquels LYAUTEY reprochait d'avoir "l'administration directe dans la peau". Il menait ses affaires pour les Marocains mais avec les Marocains. Il s'était donné la peine de les connaître à fond, aussi pouvait-il les comprendre et il respectait leur dignité d'hommes libres. Ses moyens financiers étaient vraiment dérisoires, son soutien militaire d'une extrême légèreté, aussi nous pouvons affirmer qu'à AOUFOUS son autorité et son prestige tenait essentiellement à son action personnelle… et aussi peut-être au style de cette action qui lui était propre. C'est du reste ce qui pouvait rendre délicate sinon difficile la tâche de son successeur.

Il est superflu de rappeler son courage ; Tournemire était brave jusqu'à la témérité inclusivement. Nous avons le regret de nous souvenir qu'un jour cela lui valut les reproches d'un chef qui probablement ne voulait pas d'histoires ! (Quarante jours d'arrêts de rigueur,  ... signés Catroux ..)

Quittant AOUFOUS à la fin de l'année 1928, Guillaume de Tournemire allait encore pendant plus d'un an connaître les joies de l'action indépendante au poste avancé de TARDA mais à partir de l'hiver 1930-31, c'est dans le cadre d'ensemble des opérations visant l'occupation du TAFILALET qu'il va agir avec la Compagnie Saharienne du ZIZ puis à la tête du 46ième Goum Mixte Marocain.

Pendant l'hiver de l'année 1931, sous les ordres du Capitaine de BOURNAZEL, un groupe léger de 3 Goums Mixtes (7ième, 28ième et 46ième Goums) s'est dépassé en multiples reconnaissances profondes dans la plaine et les montagnes à l'Ouest du TAFILALET. C'est au cours de l'une d'elles au début de décembre que Tournemire fut blessé dans des conditions assez particulières qu'on peut relater. Il était ce jour-là et comme à son habitude en tête de la patrouille de pointe, le contact était pris en fin de journée avec une petite bande de dissidents qui se replie en terrain difficile ; c'est à 150m tout au plus que Tournemire entame un duel avec un tireur adverse abrité derrière un rocher, chacun des deux adversaires tirant au moment ou l'autre se découvre. Au deuxième échange de balles, Tournemire, tireur d'élite s'il en fut, ne rate pas son homme mais celui-ci tirant en même temps le manque de si près que sa balle effleure la main et la tempe gauche de Tournemire. Seule la présence à courte distance d'un intrépide "médecin de l'avant" sauve notre camarade des suites d'une hémorragie abondante qui risquait d'être fatale. Cet épisode assez mince en vérité, émaille avec pas mal d'autres ces "combats du temps de paix" où, sans haine, des adversaires également braves s'affrontaient avec des armes désuètes et où le plus habile plutôt que le plus fort l'emportait.

Guillaume de Tournemire fut l'un des artisans de la pacification du Sud Marocain. Une "pénétration pacifique" sans doute mais qui tout de même "présentait parfois de réels dangers" comme il se plaisait à dire en citant le Docteur O'Grady St André Maurois !

Beaucoup de ceux qui l'ont approché à cette époque n'ont retenus que ses qualités exterieures qui étaient brillantes, séduisantes même. Bien gens rares furent ceux qui vivaient longtemps près de lui ont pu discerner ses qualités foncières, son intégrité morale absolue, un sens précis de l'honneur, son respect des engagements pris. C'est qu'il avait la pudeur de ses bons sentiments.

Tournemire n'était pas un militaire "orthodoxe" ou comme le disait autrefois Lyautey un "selon la formule"… Il n'en était pas moins efficace dans ses entreprises.

Il n'aimait pas la publicité, il avait horreur des vantards et des fanfarons, des phraseurs, des dogmatiques et des paperassiers. Son esprit railleur sans méchanceté, son ironie souriante, sa désinvolture poussée jusqu'aux limites de l'impertinence ont pu nuire à sa réputation auprès de certains de ses chefs qui voyait en lui "l'enfant terrible" (à cause de ses réparties dans un grand éclat de rire) ou "l'enfant gâté" auquel on pardonnait (pas toujours) ses incartades ou ses fantaisies.

Mais au cours de sa jeunesse militaire au Maroc, Tournemire était sans restriction aucune aimé,  de tous ses camarades. Il était généreux, hospitalier, d'abord direct et facile ; sa gaîté permanente était génératrice d'optimisme et créait autour de lui la bonne entente. "Voyez vous", disait-il un jour, "ce qu'il y a de meilleur dans l'état militaire c'est, au delà des ambitions mesquines, le véritable esprit de camaraderie qu'il faut à tout prix préserver dans la vie"