Pierre de Tournemire (1869 – 1952)
Cette notice a été rédigée par Henri de Tournemire en souvenir de son frère aîné très affectionné  Vichy, Amélie-les-Bains, Février 1955

 
Le 4 décembre 1952, le village de Joze (Puy-de-Dôme), situé sur la route de Maringues à Clermont, d'ordinaire si calme, était l'objet d'une animation particulière. Les habitants se portaient en grand nombre vers l'église, bientôt trop petite pour contenir une affluence inaccoutumée. Un deuil auquel toute la population prenait part venait de se produire dans la famille Dumas, que tout le monde aime dans le village.

 Le Comte Pierre de Tournemire, Chef d'Escadron de Cavalerie en Retraite, Officier de la Légion d'Honneur, Décoré de la Crois de Guerre (1914 – 1918), décédé le 2 décembre, à l'âge de 83 ans, après une longue maladie, dans la maison de sa fille Yvonne, épouse de Monsieur Pierre Dumas.

 Le Commandant de Tournemire s'était réfugié à Joze pendant la dernière guerre après avoir dû quitter son domicile de Tours durant l'occupation allemande. Il vécut dans ce village, modestement, donnant l'exemple de toutes les vertus et entouré de l'estime de la population. 

Né le 7 novembre 1969 à Lamorlaye (Oise) de François-Désiré-Gabriel Comte de Tournemire et Berthe Seroux de Bienville, il passa les premières années de son enfance à La Vedrenne avec ses parents et ses deux frères aînés : Guillaume, né en 1866 et Jacques né en 1867. La Vedrenne était une propriété attenante au domaine du Château de Pierrefitte, situé dans la commune de Sarroux, près de Bort (Corrèze). 

En 1875, un précepteur fut chargé de l'instruction des trois garçons et de leur éducation, suivie de très près par leurs parents. Monsieur LOURADOUR resta avec eux pendant quatre ans. Ancien séminariste, il avait gardé une empreinte profonde de ses études religieuses et se dévoua pour former ses jeunes élèves. Il leur donnait des leçons d'instruction générale et leur faisait exécuter des travaux pratiques. Ils ont gardé un souvenir ému de son enseignement. 

En 1876, la famille va s'installer au Château de Pierrefitte, auprès des grands-parents. Pierre se distingue par son ardeur au travail : il veut suivre le programme des cours de ses deux aînés. Déjà se manifestent ses qualités de courage, d'ordre, et son amour-propre. 

En 1878, Guillaume entre au collège Saint-Vincent, tenu par les Maristes, à Senlis. En 1879, Jacques et Pierre le rejoignent. Sa première communion, faite à Saint-Vincent le 22 juin 1881, n'a pas manqué de laisser à Pierre une très forte impression pour toute sa vie. 

En 1883, Guillaume parti à l'Ecole Sainte-Marie de La Seyne, Jacques entré à Saint-Joseph de Rennes (collège dirigé par les Jésuites), Pierre reste seul à Saint-Vincent. 

En 1884, il entre à Sainte-Marie de La Seyne, puis à Saint-Brieuc, s'orientant vers la Marine. Il ne continue pas dans cette voie et, en 1886, il va retrouver Jacques au Caousou à Toulouse, pendant trois ans, sous la direction du R. Père d'Adhémar. Il passe son Baccalauréat. 

En 1889, il suit les cours du Lycée Saint-Louis à Paris. Il est admis à l'Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr en 1891, et en sort en 1893 avec le grade de Sous-lieutenant de Cavalerie. 

Grand, mince, très vigoureux, cavalier dans l'âme, il est affecté au 12ième Régiment des Cuirassiers à Lunéville, dans la Division commandée par le Général Baron de Cointet, dont la renommée est célèbre en France et en Allemagne. Cette troupe à effectif de guerre est constamment en alerte, exécutant jour et nuit des manœuvres à la frontière dont les débouchés jusqu'aux moindres sentiers sont surveillés. Une vie aussi active, en toute saison, pénible pendant les hivers rigoureux en cette région de l'Est, est supportée joyeusement par tous.

Le 12 juin 1894, Pierre épouse Mademoiselle Marie du Chatenet. En cette radieuse journée, au cours d'une brillante réunion de famille au château de La Cosse, parmi les vœux de parfait bonheur adressés au charmant jeune ménage, on a remarqué le souhait prophétique qu'il lui soit accordé une très nombreuse postérité. Ce couple si merveilleusement assorti par les qualités morales et physiques de l'un et de l'autre, suit sa destiné sous la bénédiction de Dieu dont Pierre et Marie sont de fervents adorateurs.

En octobre 1894 s'ouvre le cours des officiers-élèves à l'Ecole de Cavalerie. Pierre y retrouve pour dix mois ses camarades de Saint-Cyr, qui entourent d'affection son jeune ménage, le premier formé de leur promotion. Nommé Lieutenant le 1ier octobre 1895, il est affecté au 8ième Régiment de Cuirassiers le 5 octobre, puis désigné le 19 novembre suivant comme Officier d'ordonnance du Général Leynia de La Jarrige, commandant la 1ière Brigade de Cuirassiers de la 4ième Division de Cavalerie. Il rejoint son poste à Sainte-Menehould, ou il reste jusqu'en 1898.

Puis (1898), son régiment va tenir garnison à Tours où il s'installe rue Victor Hugo avec ses ainés suivis rapidement de Louise.et de Guillaume.

Pierre prend part en 1901 aux grandes manœuvres d'Armée : il y remplit de nombreuses missions à l'entière satisfaction du Général Brugère, Vice-Président du Conseil Supérieur de la Guerre qui lui adresse une lettre de remerciements.

 En octobre, il suit le cours des Lieutenants d'Instruction à l'Ecole de Cavalerie, et s'y confirme comme excellent cavalier, plein d'allant et de finesse. Il ne manque pas, à ses moments libres, de venir travailler des chevaux difficiles avec son grand ami Saint-Phalle, cet écuyer très renommé.

 En 1903, le 3 juin, naissance d'Yvonne.

 Pendant une longue période, il prend part à de nombreuses compétitions équestres et présente chaque année avec succès des chevaux de son Régiment au Championnat du Cheval d'Armes.

 Le 8 décembre 1905, naissance de Xavier.,Le 6 janvier 1909, naissance de Jacqueline, rappelée à Dieu le 15 mai 1910. Le ménage éprouve sa première grande douleur, dont je garde avec émotion le cruel souvenir, était venu avec Jacques aux obsèques de cette très belle enfant.

 Promotion au grade de Capitaine au 5ième Régiment de Cuirassiers, à Tours.

 Le 24 janvier 1911, naissance de Bernadette.

 Si grande était l'attraction de son foyer que plusieurs fois, ses trois frères – Guillaume, Jacques, Henri – se donnant rendez-vous, vinrent à Tours des coins les plus éloignés (Toulon, Paris, la Tunisie) pour passer une bonne journée dans ce centre de sincère affection. Sa bonté était proverbiale, aussi le nombre des services rendus par lui a été considérable, soit pour des parents, soit pour des amis, car on ne faisait jamais en vain appel à son cœur.

 1914 : La mobilisation. La Guerre. Le 5ième Régiment de Cuirassiers où il a été promu Capitaine Commandant part à la frontière. Pierre écrit de Tours le 2 août la lettre suivante : "J'ai communié ce matin et ferai de même demain avec bon nombre de mes hommes. Deux Pères Jésuites sont installés au quartier depuis ce matin et ne chôment pas. Le moral des gens est merveilleux. Je suis assailli de demandes de réservistes qui veulent partir en première ligne, même en rendant leurs galons. Tout se passe dans un calme parfait… J'apprends à l'instant que l'Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. C'est donc décidé, nous marchons. On ne peut souhaiter de circonstances plus favorables…" Quelle foi dans la Providence ! Quelle confiance dans les destinées de la France ! 

28 décembre 1914 : naissance des jumeaux Roland et Chantal.

Le 19 mars 1915, le Capitaine de Tournemire, du 5ième Régiment est cité à l'Ordre N°50 de la 9ième Division de Cavalerie commandée par le Général de l'Espée :"A fait preuve de zèle et de compétence comme chef de sous-secteur, tant à la cote 91 qu'à la ferme de Canny.Au Q.G., le 19 mars 1915 .Le Général commandant la 9ième D.C. signé : L'Espée

 Au printemps 1915, j'ai été témoin de l'affection touchante des Cuirassiers de son escadron pour leur Capitaine dont ils parlaient avec fierté et la plus grande vénération. Ce sentiment unanime des troupes grandissait avec les circonstances dangereuses de la guerre. Pour tous, ce chef de famille de dix enfants faisant son devoir simplement, complètement, était un exemple unique. Par son calme, son courage personnel, il inspirait confiance. Il réconfortait non seulement par son attitude au combat, mais aussi lorsque les moments d'accalmie aux tranchées laissaient à ses braves l'occasion de penser au foyer lointain. D'un mot bienveillant, il chassait le cafard de l'un, ramenait le sourie sur les lèvres de l'autre, il donnait un compliment à propos. Il était adoré. J'ai reçu ainsi la confidence d'un de ses cavaliers, traversant mon cantonnement de Ternas, dans le secteur d'Arras. 

Le 19 mai 1915, une proposition de permission exceptionnelle est transmise très favorablement par son Colonel (Colonel de Ménil) et avec la mention suivante par la Général Gendron commandant la 1ière Brigade :"Monsieur le Capitaine de Tournemire a été cité à l'Ordre de la Division après un séjour prolongé dans les tranchées où il n'a cessé de donner le meilleur exemple d'entrain et de sang-froid. Père de dix enfants vivants dont deux jumeaux nés depuis le départ en campagne et qu'il ne connaît pas encore, je demande pour lui un tour spécial pour une permission de quatre jours.Le Général commandant la 1ière Brigade de Cuirassierssigné : Gendron

 En été 1915, il est promu Chef d'Escadrons au 8ième Régiment de Cuirassiers. Le Journal Officiel du 30 octobre 1915 (page 7829) porte l'inscription au Tableau spécial de la Légion d'Honneur pour Chevalier :Monsieur de Tournemire Marie Pierre, Chef d'Escadrons au 8ième Régiment de Cuirassiers : "Officier de valeur et de toute confiance, ayant un commandement pratique et judicieux. A mérité tous les éloges pendant cette campagne par sa bravoure, son savoir-faire, son zèle ardent et sa bonne humeur, et tout particulièrement, pendant plus d'un mois, d'un sous-secteur aux tranchées.Paris, 28 octobre 1915.signé : A. Millerand

 A la suite de son séjour de plusieurs semaines consécutives dans les tranchées, des émanations pestilentielles et des piqûres de mouches lui occasionnèrent de graves lésions oculaires. La guérison fut longue à obtenir par une médication douloureuse exigeant de lui maintenir les paupières cousues. Incomplètement remis, il reprit sa place en première ligne, donnant un nouvel exemple de devoir à ses camarades de combat.

 Passé dans l'Infanterie sur sa demande, il obtient la citation suivante :10ème Corps d'Armée. 2ème Division. 25ème Régiment d'Infanterie. Ordre du Régiment N° 553. Le Chef d'Escadrons de Tournemire, du 8ème Cuirassiers, détaché au 25ème Régiment d'Infanterie."Officier supérieur d'un dévouement inlassable, ayant du devoir le sentiment le plus élevé. Le 20 avril 1917, étant adjoint au Chef de Corps, alors que le Bataillon de première ligne, venant de subir une contre-attaque, avait perdu son Chef et son Adjudant-Major, se trouvait dans une situation très difficile, a pris le commandement de la ligne de combat, remis rapidement de l'ordre et du calme et assuré la conservation de la tranchée conquise. Le 9 mai 1917. Le Lt-Colonel Pique, commandant le 25ème R.I. signé : Pique

 A la fin de la guerre, les Cuirassiers de Tours ayant été supprimés, il est affecté au 501ème Régiment de Chars de Combat.
En 1920, 1921, 1922, 1923 il obtient de son Chef de Corps les notes les plus élogieuses et est chaque année l'objet de propositions très pressantes pour le grade supérieur.

 Le 28 octobre 1925, du Général Le Rond, commandant le 9ième Corps d'Armée, la lettre suivante lui parvient : Mon cher Commandant, Au moment où, atteint par la limite d'âge, vous allez quiter le service actif, je tiens à vous adresser le témoignage de ma haute estime pour les services que vous avez rendus au pays au cours d'une carrière où vous n'avez mérité de vos chefs que des éloges les plus flatteurs. Témoignant en toutes circonstances, de paix et de guerre, d'un esprit militaire et d'une abnégation rares dans les trois armes où vous avez successivement servi, vous avez donné le plus bel et le plus constant exemple des vertus militaires les plus élevées. Soyez assuré, mon cher Commandant, des sentiments que vous gardent tous vos chefs et vos  camarades. 9ème Corps d'Armée Etat-Major 1ier Bureau. N°2129 P.O. signé : Le Rond

 Admis à la retraite, il se fixa définitivement à Tours, dans la maison où il s'était installé en 1898 et dans laquelle sa nombreuse famille s'était développée.

 Il n'a jamais fait de politique, mais est resté fidèle à ses principes de parfaite loyauté. Il a connu avec sa très chère épouse, les joies des naissances successives, des mariages de leurs enfants et petits-enfants, avec également les épreuves atroces des pertes inoubliables : après Jacqueline,      Hugues, le 24 août 1924, brillant officier de marine au seuil d'une superbe carrière,    Bernadette, 26 octobre 1930, ravissante jeune femme, mère d'un beau garçon.  Blessures horribles pour le cœur de ces parents admirables qui, dans leur détresse, étaient soutenus uniquement par leur Foi en la Providence, avec ce seul cri au plus profond de leur chagrin : "Que la volonté de Dieu soit faite…" 

 Au cours d'une longue maladie, après avoir reçu en parfaite connaissance les derniers Sacrements des mains de son cher fils Xavier – Dom Ambroise, bénédictin de l'Abbaye d'En Calcat – il supporta avec une patience édifiante ses très pénibles souffrances.Toujours accueillant, il avait un sourire aimable pour ceux qui l'entouraient, qui le soignaient, et pour ceux qui venaient le voir il avait jusqu'au dernier jour, malgré sa grande fatigue, des mots de remerciements et un regard plein de bonté. Il s'est éteint le 2 décembre 1952 à Joze, dans la paix du Seigneur, laissant à ses enfants, à ses petits-enfants, à ses arrière-petits-enfants et à toute sa famille le souvenir impérissable d'une vie exemplaire.   Le 23/3/2008  son ménage a 495 descendants !