Morceaux choisis

Georges Dreyfus, Histoire de Vichy p 274

Sous la direction du commandant de Tournemire, les Compagnons de France, fondés eux aussi fin juillet 43, n'étaient pas un mouvement destiné à former une jeunesse unique puisque le scoutisme français, les mouvements catholiques, protestants, laïcs et même juifs avaient toujours droit de cité. Les Compagnons avaient l'ambition de grouper "la jeunesse non encadrée ". Et ils y réussirent généralement au point qu'un de leurs mots d'ordre "Le mouvement Compagnons n'est contre personne" parut " inacceptable" à ceux qui voulaient en faire un mouvement fascisant: " Une fleur au chapeau, à la bouche une chanson, c'est bien gentil mais ce n'est pas suffisant. Un couteau à la ceinture, s'il le faut pour se battre ", ainsi s'exprime Jean Mazé alors chargé des questions de jeunesse au secrétariat à l'Information. Ceux-ci mirent sur pied à La Chapelle-en-Serval, près de Senlis, une Ecole des cadres sous le patronage de Bergery, mais ce centre, considéré comme "une sorte de vision de fascisme ", n'obtiendra jamais pour cette école un statut analogue à celle d'Uriage.

Dominique Venner "Histoire critique de la résistance"

p 156

Pour compléter cette évocation du pétainisme résistant déjà analysé dans les chapitres précédents, il faut encore citer trois noms liés au mouvement de jeunesse "Compagnons de France" créé par Vichy dans l'esprit de la Révolution nationale. Georges Rebattet (Cheval dans la Résistance), après avoir été l'un des chefs du mouvement Compagnons en août 1940, deviendra membre du comité directeur de Combat et sera le responsable " maquis" au sein de l'Armée secrète unifiée. Guillaume de Toumemire, chef d'escadron de cavalerie en 1940, président du mouvement Compagnons en 1941, créera en 1943 le réseau Druides en liaison avec Alliance, et, recherché par la police, passera à la clandestinité en octobre 1943. Enfin, le commandant François Huet, secrétaire général des Compagnons en juillet 1943, deviendra le chef militaire du maquis du Vercors à partir de juin 1944.Dès le mois de décembre 1942, le commandant Masson (EMA) met de l'armement léger à la disposition du général Delestraint, premier chef de l'AS nommé par de Gaulle. Les contacts entre les généraux Frère et Delestraint sont concrétisés par le général Olleris à Bourg-enBresse fin mars 1943. L'arrestation de Delestraint, le 9 juin suivant, va ruiner en partie les bonnes relations établies avec l'AS. Un accord ORAAS est pourtant signé en octobre: l'ORA reconnaît l'autorité du CFLN d'Alger présidé par de Gaulle. .......

p 336 Dejussieu-Pontcarral, qui a succédé à Delestraint, ayant été lui aussi arrêté à la suite d'imprudences en mai 1944, le COMAC, entièrement sous contrôle communiste, nomme à sa place le colonel RoI-Tanguy (membre du PC), tandis que les adjoints de Dejussieu (colonels Du Jonchay et Zarapoff) sont arrêtés ou évincés (capitaine de Lagarde).

Ce chambardement politique à la tête de l'AS ne favorise pas les relations avec la direction de l'ORA. Les accords locaux dépendent beaucoup des relations personnelles établies entre les chefs des diverses formations. Ils sont bons à Lyon (Descour pour l'ORA et Chambonnet pour l'AS) ainsi qu'à Toulouse où une direction unifiée est confiée à Grancey (ORA). La fusion théorique AS-FTP imposée par de Gaulle pour des raisons d'efficacité est signée le 29 décembre 1943 (Dejussieu-Pontcarral pour l'AS, Jacquot-Latour pour les FTP), en présence de Louis ManginMarbot, envoyé par de Gaulle.

Cela n'ira pas sans graves difficultés d'application au niveau local, suivant les régions, les personnalités et les forces en présence. Cet accord, de toute façon, n'engage pas l'ORA que le parti communiste critique ouvertement, voyant en elle un obstacle à sa mainmise sur la Résistance. La réciproque est moins vraie: les chefs de l'ORA recherchent souvent des accords avec le parti communiste quand il apparaît que cela peut servir le combat. Du côté de l'ORA, ces contacts seront suivis par le capitaine de Chézelles. Des liaisons étroites existent également avec divers mouvements de résistance, notamment en zone nord avec l'OCM (colonel Touny) qui compte beaucoup d'anciens officiers ou d'officiers de réserve dans ses rangs, mais aussi avec Libération-Nord (chef militaire: colonel Zarapoff), avec le service national maquis (Rebattet-Cheval) ou encore avec Défense de la France, avec Combat (Bertin-Chevance), avec le MNRPG de François Mitterrand que rencontrent souvent les chefs de l'ORA, avec les Compagnons de France du commandant Guillaume de Toumemire, etc. De très nombreux accords locaux se font en vue des combats de la Libération.

François-Georges Dreyfus

, Histoire de la résistance (p77 à 79)

On peut de même se poser bien des questions sur l'autre Mouvement de jeunesse proprement vichyssois que sont les Compagnons de France 24. " Instrument de propagande de la Révolution nationale ", dit-on couramment en parlant d'eux. Ce n'est pas aussi simple quand on songe aux destins de nombre de ses chefs. R. Hervet a fort bien montré ce qu'étaient les Compagnons de France. Les premiers responsables Vont presque tous se faire un nom dans... l'opposition à la collaboration avec l'ennemi: Étienne de Croy, Jean Gastambide, Paul Delouvrier, et ils viennent de tous les horizons, des jeunesses socialistes comme Audegond, de la libre pensée comme Galey, du scoutisme protestant comme A. Basdevant ou J. Gastambide, ou des milieux catholiques comme Tolon 25. Leur but: "aider chaque adolescent à répondre à sa vocation personnelle d'homme et de Français; lui faire prendre conscience de la mission propre à la France, " - l'engager... pour le relèvement de son pays " Interdits (comme les Chantiers) en zone nord, les Compagnons ne sont pas, comme certains l'ont craint, une concurrence pour le scoutisme ou la Jeunesse catholique: ils touchent souvent des milieux plus populaires que le scoutisme et détachés de la vie religieuse. Ils insistent sur la formation morale et les activités physiques. Après une longue crise au printemps 1941, apparaissent Guillaume de Tournemire qui va devenir le chef, Georges Lamarque, G. Rebattet, mais aussi Armand Petitjean, le philosophe ami de Paulhan lié aux technocrates non conformistes, en particulier aux hommes des Nouveaux Cahiers (P. Baudouin, A. Philip, Maritain, Drieu La Rochelle, J. Tessier, R. Lacoste, R. Belin, D. de Rougemont, R. Cassin, R. Marjolin, G. Lamirand) Tournemire a été, au lendemain des manifestations étudiantes du Il novembre 1940, chargé par le secrétaire général à la Jeunesse, G. Lamirand, d'aller encadrer les étudiants parisiens: " Il faut éviter qu'ils fassent les" ballots" " ; arrivé à Paris, il va aider à la mise en place du COPAR, Comité parisien pour les étudiants, auquel songent le recteur Gidel, les doyens comme Ripert, des professeurs comme Mestre, Le Bras, F. Perroux, mais aussi l'ancien chef de cabinet de Jean Zay, Alfred Rosier. Et en un mois, Tournemire devient " la coqueluche des étudiants ", selon le mot d'A. Aumonier; et c'est ainsi que, pendant des années, le 15 rue Soufflot sera le haut lieu de la vie des étudiants parisiens, des Compagnons à l'UNEF, que sont créées les Maisons de faculté, la première étant la Maison des Lettres. Et en même temps, Tournemire apporte son aide aux étudiants, aupoint que son collaborateur Étienne de Croy se retrouve à la prison du Cherche-Midi avec d'Estienne d'Orves. Le 18 mai, Tournemire est devenu Chef Compagnon " par fidélité personnelle au Maréchal >), par refus de la collaboration 28. Cela entraîne une incontestable modification de l'esprit des Compagnons; Armand Petitjean et Jean Maze sont " déchargés >) de leurs fonctions à la rédaction de Compagnons. En même temps, il est décidé à " assainir le Mouvement en rejetant tout ce qui ne travaille pas dans le sens >) que nous voUlons... c'est-à-dire " refaire une France forte pour reprendre le combat contre l'Allemand >). ( La Cité que veulent bâtir les Compagnons est fondée sur la Révolution nationale, sur l'idée aussi que " nous avons perdu la guerre parce que nous avons voulu entreprendre une lutte nationale avec un gouvernement de parti >) (Félix Gaillard, futur Président du Conseil de 1957 à 1958, dans Chef Compagnon du 1 er septembre 1941). Et le Mouvement s'étend en Bas-Languedoc (3 700 membres à l'été 1941), en Provence, etc. Mais une nouvelle crise se développe, animée par G. Bergery, avec Petitjean, Antignac qui se fera " remarquer >) plus tard au commissariat général aux Affaires juives, avec la bénédiction de l'ancien communiste Paul Marion. Cette crise a sa source dans les turbulences qui se développent autour de la Jeunesse de France et d'Outre-Mer qui semble devoir devenir le noyau de la jeunesse légionnaire à laquelle pense J. Darnand, Mouvement plus ou moins financé par certaines caisses noires gouvernementales ou partisanes (PPF). Or, la ]FOM a pour action essentielle de favoriser la propagation de slogans comme " À bas de Gaulle >), " Les juifs à la porte " 29. Le conflit éclate à l'automne 1941 30: Maze déclare froidement: " La phrase" Le Mouvement Compagnons n'est contre personne" est inacceptable >) et il ajoute: " Segonzac et tout le secrétariat à la Jeunesse: le dernier endroit où l'on fait la Révolution nationale. " Or, incontestablement, ce sont eux qui en cette fin d'année 1941 soutiennent Vichy contre les " ultras ". Lamirand, qui restera secrétaire général à la Jeunesse jusqu'en mars 1943, continue de soutenir Tournemire et Lamarque. Et il demeure en place. Le Mouvement va " jouer la carte de la libération du territoire " (R. Hervet) avec J.-F. Gravier, A. Aumonier, A. Aubert. En août 1942, au cours d'un grand rassemblement, " le drapeau a été mis en berne, jusqu'à ce que la France et son Empire aient retrouvé leur intégrité" Le 29 novembre 1941, André Noël est le premier Compagnon A tomber sous les balles ennemies: en mission pour le 2e Bureau en zone occupée, il fut dénoncé et exécuté. Et c'est en pensant à lui et à ceux qui risquent de le suivre que Tournemire a décidé que les drapeaux seraient mis en berne.

Depuis plusieurs mois, Lamarque et Tournemire sont en relation avec Marie-Madeleine Méric-Fourcade, Loustaunau-Lacau et Faye, les fondateurs du réseau AlLIANCE. En août 1942, Lamarque entre totalement en Résistance. Le 7 septembre, il adresse un rapport significatif à Tournemire: " La position du gouvernement paraît de plus en plus fausse. À ce sujet, un revirement très net dans l'opinion des fonctionnaires s'est fait depuis huit jours: alors qu'il y a encore une semaine, l'espoir de tous les rédacteurs de ministères était de devenir sous-préfets, actuelle ment personne ne tient à quitter l'administration centrale ". Les Compagnons s'engagent dans la recherche intellectuelle et enquêtent sur la démographie (A. Jesel), la conception française de la personne, dans un sens proche de ce que développe Esprit, l'expérience Boimondau. Mais on pense aussi au combat: Lamarque souligne, devant les cadres du Mouvement, le 29 octobre 1942, le développement de la Gestapo en zone libre et annonce le débarquement en Afrique du Nord. Et plusieurs chefs rejoignent aussitôt l'Afrique du Nord, dont Pierre Poujade

Tournemire est reçu le 12 novembre par le Maréchal qui lui explique " qu'il est décidé à rester" mais approuve l'entrée en Résistance du Chef Compagnon, tout en l'invitant à agir " avec prudence pour éviter les éclaboussures qui retomberaient sur vos jeunes " On assiste dès lors à des descentes de jeunes francistes et de membres des SOL (Service d'ordre légionnaire) dans les locaux des Compagnons. A. Aubert n'hésite pas à parler de " la désaffection complète à l'égard de tout ce qui touche au gouvernement et au Maréchal lui-même ". Le Mouvement est entré en Résistance et va créer le réseau DRUIDES. Et Lamarque, arrêté par les nazis et fusillé le 8 septembre 1944, sera fait Compagnon de la Libération par le général de Gaulle. Si nous avons insisté sur ce cas, c'est qu'il nous paraît significatif de l'attitude de Vichy jusqu'en novembre 1942.

C'est en connaissance de cause que Lamirand soutient les Compagnons contre P. Pucheu, P. Marion, G. Bergery. On reproche à Tournemire et à Dunoyer de Segonzac de favoriser " démocrates" et gaullistes. Comme le remarque B. Comte, " le dernier mot restera au cabinet du Maréchal qui souhaite suivre une voie moyenne entre les" démocrates" et les" totalitaires" .

Cela vaut pour les Compagnons comme pour Uriage; or ce sont les piliers essentiels de la politique de la jeunesse de Vichy: l'état d'esprit n'est pas très différent de celui des Mouvements de résistance gaulliste au même moment. Il est vrai que chez les uns comme chez les autres, ce qui domine, c'est la germanophobie : La défense des traditions " républicaines " n'est pas, sauf à LIBERTÉ, chez de Menthon, Teitgen ou Capitant, le fondement du comportement des résistants de l'époque, nous le verrons; ce n'est pas non plus la préoccupation essentielle de ces jeunes officiers et hauts fonctionnaires, souvent proches de la droite traditionnelle et catholique Cela explique l'hostilité à leur égard des "collaborateurs " généralement parisiens, plus ou moins dégagés de toute préoccupation religieuse, socialistes de formation, faisant de nombreuses déclarations prolétariennes, en fait proches du nazisme, confirmant par leur comportement les remarques des sociologues, tel l'Allemand Hans Kohn, décrivant dès 1935 dans Dictatorship in the modern World, publié aux États-Unis, les points communs du marxisme et du nazisme; tels aussi les Français Élie Halévy et Marcel Mauss au cours d'un débat au Collège de sociologie en novembre 1936/38.

Marie Madeleine Fourcade, L'Arche de Noé

p 329 Georges Lamarque

Sorti de l'Ecole Normale Supérieure, Georges Lamarque était ln agrégé de mathématiques de vingt-huit ans. Peut-être était-ce :cette formation qui permettait à Pétrel de résoudre plus facilement que quiconque d'entre nous les problèmes ardus de la guerre secrète. Personnage au don d'ubiquité, il continuait à vivre dans les trains, les connaissant tous par leurs numéros, et jonglait, aux quatre coins de la France, avec des équations vertigineuses de rendez-vous clandestins. Dégagé des préoccupations matérielles du service radio, il _pourrait se consacrer enfin au projet qu'il mûrissait depuis quelque temps. "Seul compte le sens de la mission, disait-il. Les nazis ne comprennent que les coups au but? Je vais leur en administrer. " Or, les Compagnons de France auxquels il appartenait venaient d'être dissous par Vichy, et leur chef, le colonel de Toumemire, avait de ce fait à sa disposition dix-sept mille hommes et des cadres choisis et entraînés de longue main. Lamarque y puisait pour le réseau ceux qui donnaient les meilleures preuves de patriotisme, mais il croyait le moment venu embarquer tous les compagnons dans la bagarre. Tournemire est d'accord. Je demandai à Pétrel de recruter d'urgence des chefs de secteur implanter en priorité dans la zone sud dévastée. Ses hommes auraient à se préoccuper que de la recherche du renseignement. pour réduire au maximum leurs risques, matériel et fonds seraient remis par moi, ainsi la nouvelle organisation opérerait d'une manière entièrement autonome. Ce serait le sous-réseau " Druides ". Georges Lamarque prendrait le nom de " Brenn" et le colonel de Tournemire deviendrait " Dispater ". D'un seul coup à Lyon, à Nice, à Toulon, à Vichy, à Clermont-Ferrand, à Toulouse jaillit une -organisation toute casquée dont l'ordre de bataille s'anima comme par enchantement, sous la poigne de fer d'un "Pétrel-Brenn" déchaîné. Je lui remis de l'argent, des questionnaires et un code. Il me jura qu'il réussirait le tour de force de préparer un courrier complet pour la lune de mars. "Je pourrai en faire autant pour la zone nord, ajouta-t-il, simple question de trains et de moyens supplémentaires. " Après son départ, je contemplai avec émotion le petit organigramme que nous avions dressé ensemble, puis je le brûlai. Apprendre par cœur n'était plus une faculté, c'était un besoin, comme de fumer. Toutes ces têtes de file que Lamarque me proposait étaient des hommes remarquables, tel Raymond Marcellin que Pétrel considérait comme son frère. Le seul nom qu'il ne m'avait pas donné était celui d'une jeune fille dont il faisait grand cas et qu'il appelait "Amniarix".

P 406 Londres Juillet 1943 chez le major Bertram .. L'arme secrète

.... Laissant les toasts refroidir, je me jetai avec Faye dans la contemplation des cartes renseignées, des plans, des échantillons de toute espèce prélevés sur demande de l'Intelligence Service parmi les stocks allemands, des cahiers de renseignements. Parmi ces derniers, une information transmise par Georges Lamarque me sauta aux yeux. Elle sortait complètement du rituel que je remâchais depuis tant d'années:

RENSEIGNEMENTS COMMUNIQUÉS PAR UN CAPITAINE D'ACTIVE ATTACHÉ AU CENTRE D'ESSAI DONT IL SERA QUESTION.

Dans l'île de Usedon (nord de Stettin) se trouvent concentrés les laboratoires et services de recherche scientifique qui améliorent les armes existantes ou mettent au point les nouvelles armes. Le territoire de l'île est gardé de très près. Il faut pour y pénétrer, en plus du livret militaire, trois autorisations spéciales: - Sondergenehmigung - Zusatz - Vorliiufigergenchmigwlg papier filigrané carton orange papier blanc J

Les services administratifs sont à Peenemünde et à... (un mot illisible). Les recherches sont axées:

a) sur les bombes et obus dirigés indépendamment des lois de la balistique,

b) sur un obus stratosphérique, c) sur les bactéries employées comme arme. La Kampfgruppe KG 100 expérimenterait actuellement des bombes dirigées de l'avion par le bombardier.

Ces bombes pourraient être dirigées d'une distance telle que l'avion pourrait se maintenir en dehors des limites de la DCA. La précision serait parfaite lorsque l'avion n'aurait pas à se défendre contre les chasseurs (ce qui n'est pas le cas en Sicile !). On en serait à la période des dernières mises au point d'une bombe stratosphérique d'un type tout à fait nouveau. Cette bombe aurait un volume de 10 (dix) m3 et remplie d'explosif. Elle serait envoyée presque à la verticale pour atteindre le plus vite possible la stratosphère. L'informateur parle de 80 kilomètres à la verticale. La vitesse de départ serait maintenue par des explosions successives. La bombe serait pourvue de Racketten (ailettes ?) et dirigée sur des buts précis. La bombe serait chargée de 800 litres d'essence, nécessaires même en période d'essai où les obus ne sont pas chargés pour permettre la progression. La portée horizontale serait de 500 kilomètres.

Des essais auraient été faits sans charge d'explosif de Usedon en direction de la Baltique et auraient atteint la hauteur de Kœnigsberg. Le bruit serait aussi assourdissant que celui d'une forteresse volante. Les essais auraient donné au début d'excellents résultats quant à la précision. C'est à la réussite de ces essais qu'Hitler aurait fait allusion lorsqu'il a parlé " d'armes nouvelles qui changeront la face de la guerre lorsque les Allemands s'en serviront ".

Tout récemment, il y aurait eu un ennui, la moitié seulement des bombes atteignant avec précision les buts visés. On compterait surmonter cette défaillance récente vers la fin du mois.

Le colonel Wachtel et les officiers qu'il a réunis formeraient les cadres d'un régiment de FLAK (16 batteries de 220 hommes, le 155 " W ", qui va être installé en France, fin octobre début novembre. Etat-major dans les environs d'Amiens, les batteries, entre Amiens, Abbeville et Dunkerque). Le régiment disposerait de 108 (cent huit) catapultes pouvant tirer une bombe toutes les vingt minutes. L'artillerie de l'armée de Terre disposerait de plus de 400 catapultes qui seraient placées de la Bretagne à la Hollande. Les régiments d'artillerie seraient dotés de ces engins au fur et à mesure de la fabrication en quantité suffisante des munitions..L'expert Sommerfled estimerait que 50 à 100 de ces bombes suffiraient à détruire Londres. (Le commandant Sommerfeld est le conseiller technique du colonel Wachtel.) Les batteries seraient disposées de façon à détruire méthodiquement la plupart des grandes villes anglaises au cours de l'hiver. Des plates-formes bétonnées seraient déjà en construction. On compterait les garnir en novembre.

Les experts allemands n'ignoreraient pas que des experts anglais travaillent la même question. Ils se croient assurés d'une avance de trois à quatre mois.

Faye me lançait son regard de biais:

- Ça vous fait le même effet qu'à moi, murmura-t-il. J'étais remplie d'effroi.

- Nous tenons l'arme secrète! - C'est la raison pour laquelle, d'accord avec Georges Lamarque, je n'ai pas télégraphié le tuyau. Il doit aller directement au sommet, sans passer par les méandres des services.

- Qui a informé Pétrel?

- Amniarix, la jeune druidesse dont il s'est refusé à donner le vrai nom. Une fille extraordinaire qui parle cinq langues. Elle tient le renseignement de première main.

- Ce n'en est que plus affreux.

- Ces Français, tous les mêmes, ils ne savent pas se relaxer,ronchonnait le major Bertram en nous interrompant. L'autre jour, un grand chef communiste (je sus plus tard que c'était Fernand Grenier) est arrivé. Sa femme ne l'avait pas vu depuis des mois. Eh bien, la première chose qu'elle lui a demandée, c'est .des nouvelles du Parti! Et ils ont passé la nuit à discuter politique. Personne n'a pu dormir à cause de leurs éclats de voix. My friends, it's time for everything!

P 436 .... 8 Novembre 1943 ....toujours à Londres

Comme toujours pour mon anniversaire, je reçus un beau cadeau: le 8 novembre, le parachutage Marius chez le capitaine des Isnards avait réussi, les trois containers étaient en sécurité. Sir Claude me l'avait fait annoncer dès le matin avec une gerbe de roses. Il m'invitait à déjeuner au bon restaurant Ivry avec le producteur de films Sir Alexander Korda. Sir Claude était passionné de cinéma et désirait qu'après la guerre un film fût tourné sur l'Alliance. En me raccompagnant, Sir Claude me demanda mon opinion sur le drame du réseau et si j'avais enfin des soupçons sur le traître.

- J'en ai, mais de Londres, c'est difficile de se faire une opinion exacte. Il faudrait que je puisse interroger mes amis en allant moi-même les voir. Je les sens pathétiquement à bout de nerfs, et pourtant l'Alliance reprend corps. Laissez-moi rentrer, Sir Claude.

- Patience, Poz, patience.

- De mon côté, je cherche aussi, croyez-le bien! Et pour les secours, nous faisons l'impossible dans une dramatique période de malchance. Il y a de lourdes pertes dans tous les réseaux.

- Ce n'est pourtant pas le moment de s'arrêter, dit-il soucieux. A ce propos je dois vous dire que nous sommes très satisfaits du renseignement de Pétrel sur les armes secrètes.

Il s'agissait, enfin, du renseignement qui m'avait sauté aux yeux dans le courrier rapporté par Faye.

- Celui de la base de Peenemünde?

J'ai demandé vingt fois s'il fallait que Pétrel suivît sa source et on ne m'a jamais répondu. J'en déduisais qu'elle n'avait pas de valeur. Sir Claude me regardait d'un drôle d'air.

- Doutiez-vous vraiment que ce renseignement était bon?

- Vous savez, les armes secrètes, depuis le temps qu'on en parle, c'est comme le monstre du Loch Ness!

- Ça existe, Poz. Nous ne vous avons pas répondu parce que je voulais d'abord vérifier votre information. L'origine des armes secrètes se trouve bien à cet endroit-là. Le renseignement de Pétrel est excellent, nous l'avons largement exploité. Qu'il ne prenne plus de risques avec sa source maintenant, nous cherchons ailleurs, in the field. La terre se dérobait sous mes pas.

- Qu'est-ce que c'est que cette arme? Quand vont-ils l'utliser ?

- Des sortes de robots, des bombes sans doute téléguidées. Nous devons faire en sorte qu'ils ne les utilisent jamais, enfin, le moins possible, sinon... - Sinon?

- Eh bien, s'ils devaient s'en servir comme ils l'entendent, ça deviendrait très, très difficile de débarquer.

Je rentrai chez moi sombrement agitée. ...

P 490 Avril 1944 Jeanneton

.......l'Intelligence Service opta pour l'opération Jeanneton. Sa réalisation était des plus difficiles. C'était une opération marine, un accostage de vedette rapide sur la côte interdite, où il s'agissait d'aller chercher trois passagers et un courrier. A lui seul, l'acheminement des passagers posait d'ardus problèmes; les bombardements intensifs des voies ferrées avaient commencé et on ne pouvait plus se fier aux horaires des trains; le secteur fortifié était passé au microscope par l'ennemi.

Néanmoins, Dampierre se montrait confiant. Le talky-walky n° 1516 qu'il utiliserait lui permettrait à chaque instant de se tenir au contact de la vedette anglaise dont il guiderait l'approche. Ceci représentait, en évitant les signaux lumineux, un progrès notable sur l'opération Popeye qu'il avait vécue sur la côte des Issambres. J'attendais par cette voie un pilote de chasse, Raymond Pezet, au joli nom de Poisson-Volant, qui devait suivre le stage Avia, Amniarix la jeune Druidesse qui avait produit le sensationnel document sur l'arme secrète et Jacques Collard, le policier Cactus, à qui nous voulions donner d'importantes directives pour les zones interdites.

Le 28 avril, à travers les bombardements de voies ferrées, Elie de Dampierre assisté de Castor a réussi le véritable tour de force de rassembler à Tréguier ses trois passagers et leur volumineux courrier. Il les installe au restaurant et prend à vingt heures sur son poste l'écoute de la BBC. Un message personnel lui annonce que l'opération Jeanneton aura lieu le soir même à minuit. Castor part aussitôt quérir Yves Le Bitoux, vétérinaire de l'endroit, qui doit les transporter en automobile jusqu'à Pleubian où l'un de ses amis, François Margeau, les prendra en charge pour leur faire passer les champs de mines qui barrent la zone d'embarquement.

A Pleubian, malgré la nuit noire, Le Bitoux trouve facilement la demeure de Margeau et frappe joyeusement à l'huis. Dans le rectangle lumineux du vantail qui s'ouvre, se découpe la silhouette d'un officier allemand.

Epouvanté par cette apparition, le docteur perd contenance. Amniarix vole à son secours. Elle parle couramment l'allemand et demande calmement à l'officier où se trouve Margeau. " En face ", aboie-t-il en claquant la porte.

Dampierre décide sur-le-champ de quitter le village. Il fait stopper la voiture dans un chemin de traverse, y laisse le courrier à la garde de Poisson-Volant et du docteur Le Bitoux, et part lui-même s'enquérir d'une voie de repli avec Amniarix et Castor. Un passant leur apprend que la villa de Margeau vient d'être réquisitionnée et leur donne sa nouvelle adresse. Tout n'est peut-être pas perdu.Le quatuor se hâte vers l'endroit indiqué. A peine a-t-il fait quarante mètres dans l'obscurité opaque, qu'il se trouve encerclé par six soldats armés de mitraillettes et de grenades. Les Allemands les refoulent vers la villa réquisitionnée. On les fouille. Fort étonné de constater que leurs papiers sont parfaitement en règle, l'officier qui leur a précédemment ouvert la porte demande à voir l'automobile. Il désigne Amniarix pour l'y conduire.

Que peut-elle si frêle et désarmée contre les mâchoires du piège qui s'est refermé sur eux? La voiture sera prise tôt ou tard. Elle choisit de marcher le plus lentement possible, de parler allemand le plus bruyamment possible pour alerter Le Bitoux et Poisson-Volant dans l'espoir qu'ils s'enfuiront. Pendant que Dampierre et Castor sont gardés à vue dans la villa par quatre hommes armés et un chien loup, Castor parvient non sans mal à faire disparaître en l'avalant le papier ayant trait aux coordonnées de l'opération. La vedette de la Royal Navy, elle au moins, sera sauvée.

Au bout de vingt minutes d'incertitude mortelle, un grincement de roues annonce la capture de l'automobile. L'officier clame triomphalement: "Ce sont tous des espions ", mais il ne ramène avec lui qu'Amniarix et le docteur Le Bitoux. Alerté par les éclats de voix de la jeune fille,

Poisson-Volant s'est enfui. Le vétérinaire stoïque est resté: trop connu dans le pays, il n'a pas voulu en se sauvant provoquer de représailles parmi cette population qui lui est si chère.

Comme les soldats poussent dehors les prisonniers, Castor se précipite vers la voiture pour tenter de mettre le feu à ce qui peut rester de compromettant. Il ouvre le coffre. Toutes les valises en ont été retirées et il est repoussé brutalement dans le rang.

Les Allemands entraînent maintenant le petit groupe vers une maison située à une centaine de mètres.

Castor sent alors qu'il tient là sa seule chance. Accélérant l'allure, semant ses gardes, il s'élance vers une grande cour et se rue sur un mur d'enceinte de plus de deux mètres cinquante de hauteur. Les rafales de mitraillettes fusent. Protégé des coups de feu par l'angle mort de la bâtisse, il escalade le mur, saute dans la rue et dévale au hasard, droit devant lui. Il entend qu'on tire, mais la nuit est noire, on le rate. Au bout d'un petit chemin bordé de maisonnettes, il trouve un jardin, franchit la grille, cherche le hâvre le plus propice, et, au fond d'un bosquet, repère un de ces édicules de bois encore très en usage à la campagne. Là est le salut. Il ouvre la porte, soulève le siège, s'accroupit dans la tinette et attend que la nuit s'achève en épiant les clameurs de la troupe qui patrouillera jusqu'à l'aube dans le village terrorisé.

Aux premiers rayons de soleil, Castor relève prudemment la tête. La propriétaire des lieux se dirige vers l'édicule; force lui est de se présenter: " C'est moi le fugitif. " L'excellente femme surmonte sa surprise. Elle refuse cependant de faire entrer Castor dans la maison - les Allemands continuent à fouiller toutes les demeures de Pleubian, interrogent les enfants, barrent les routes; ils ont arrêté Margeau et sa femme; plus de cent habitants sont appréhendés - mais elle retourne aux nouvelles et rapporte bientôt des vêtements et de la nourriture.

Castor revêt un bleu de travail qui le rend enfin convenable tout en changeant son signalement. Il rampe jusqu'à des plants d'artichauts, sous lesquels il se dissimule pendant sept heures. Au début de l'après-midi, sa complice revient dire que la surveillance se relâche. Elle propose sa bicyclette et Castor pédale sur la route de Paimpol, atteint la gendarmerie, y laisse le vélo, attrape un train au vol. A Paris, le lendemain, il retrouvera Poisson-Volant.

Elie de Dampierre, Jacques Collard, Yves Le Bitoux, François Margeau et Amniarix la frêle et grande Jeannie Rousseau furent emmenés vers leur destin.