Cavaliers, chargez ! Murat (1767-1815)

Joachim Murat naît le 25 mars 1767 à La Bastide-Fortunière (plus tard La Bastide-Murat) aux environs de Cahors. Signe zodiacal : le bélier. On pourra dire qu'il aura présenté toute la physionomie du signe, avec l'impétuosité brillante de son caractère, la fierté de ses traits guerriers et la mâle vigueur d'une constitution particulièrement athlétique.

Il est fils d'un cabaretier - pas du tout le style d'un grossier tavernier servant sur des tables de bois sa mauvaise piquette à des clients ivrognes, un excellent " marchand " fort digne, de surcroît gérant des biens communaux et des bénéfices ecclésiastiques, instruit, diligent, malin et capable de voir bien au-delà de son clocher.

La mère est si pieuse qu'elle rêve de faire de son fils un prêtre. Mais il est par trop turbulent et batailleur, adore avant tout les chevaux et la bagarre. En vain lui fait-on suivre les cours du petit séminaire de Cahors, puis le confie-t-on aux lazaristes de Toulouse. Force est de voir que sa vocation ecclésiastique est nulle. Au demeurant, laisse-t-il même le choix ?

Un jour de février 1788, d'une fenêtre du séminaire, il voit défiler le régiment des chasseurs à cheval des Ardennes. La tentation est trop forte : ces gars en habit vert à retroussis blanc, les chevaux, le piaffement, la fanfare, l'allure martiale... Le soir même, il se présente au recruteur. Comment un recruteur pourrait-il ne pas recruter ce grand gaillard de vingt ans aux jambes longues, aux bras musclés, au regard franc, portant haut la tête et qui mesure 1,80 ni ! Comment en laisser faire un curé ?

Voici donc notre Joachim sous uniforme - en garnison à Carcassonne, puis à Sélestat où le régiment devient le 12e régiment de chasseurs de Champagne et où il passe rapidement maréchal des logis. Sauf que, non moins promptement, il se fait congédier pour insubordination.

Il se retrouve commis-épicier à Saint-Céré. Il est vrai qu'il n'y végète pas. Il réussit à se faire réintégrer dans son régiment comme simple soldat, ce d'autant plus qu'il se proclame de toute sa verve chaud partisan des idées nouvelles. Puis il entre dans la garde constitutionnelle du roi en février 1792. Mutation inespérée.: il s'agit d'un régiment d'élite voué à remplacer les mousquetaires et les gardes-françaises, et à partir duquel on pourra suivre aisément tous les événements de Paris. Comme quoi il entre en vives disputes avec beaucoup de ses camarades, qui sont des royalistes acharnés et qu'il croit devoir dénoncer comme contre-révolutionnaires. Comme quoi, une fois la garde constitutionnelle dissoute, il retrouve son régiment sous les acclamations.

Pensez donc! Il a un tel bagout qu'on aura même songé à lui dans le Lot comme éventuel député à la Convention. Mais les champs de bataille offrent plus d'horizons que le forum. Il est maréchal des logis en mai 1792, sous-lieutenant le 15 octobre qui suit, lieutenant six jours plus tard. " Républicain prononcé ", se nomme-t-il. Cela aide. En avril 1793, il est capitaine aide de camp du général d'Urre à l'armée du Nord, quinze jours plus tard chef d'escadron. Il est si zélé au service des nouveaux maîtres du pays qu'il change son nom de Murat en Marat, en hommage à l'Ami du Peuple.

Pour autant, il sait être habile. A peine Robespierre tombé, il s'empresse de reprendre son vrai nom et sait assez manoeuvrer pour éviter les foudres des thermidoriens, qui voudraient bien l'épurer de son robespierrisme. Il s'en sort aux moindres frais. Puis, le 21 mai 1795, lors de l'insurrection des faubourgs contre la Convention - insurrection qui provoque la mort du député Féraud dont la tête est promenée au bout d'une pique, son régiment assure la défense de l'Assemblée et disperse les manifestants aux applaudissements des thermidoriens. Il est là.

Puis, le 5 octobre qui suit, il est du 13 Vendémiaire : ce sont les canons ramenés promptement par Murat des Sablons qui permettent à Bonaparte d'écraser les forces royalistes de Danican lancées à l'assaut de la Convention à leur tour. Bonaparte le récompense. Il le nomme chef de brigade puis, sur recommandation de Marmont, le prend comme aide de camp. Non qu'entre les deux hommes la sympathie soit profonde.

Bonaparte, officier sorti des écoles, est porté à quelque dédain pour le soldat sorti du rang. Il y a aussi quelque mépris de l'artilleur pour le cavalier, du stratège pour le sabreur. Les deux personnages ont par ailleurs l'un et l'autre des caractères entiers, peu portés à composer.

Quoi qu'il en soit, le Gascon est aux suites du Corse à la campagne d'Italie, où il peut pour la première fois déployer un courage exceptionnel. Il y est même blessé. Il est aussi de l'aventure égyptienne. Bien qu'il se signale par quelques imprudences qui auraient pu avoir des conséquences désastreuses, il se distingue plus encore par son panache et des charges qui forcent l'admiration de tous les observateurs. C'est en particulier tout un spectacle que de le voir disperser mameluks et janissaires à Cana, à Nazareth, au mont Thabor, renouvelant les antiques exploits de Tancrède et de Renaud, se jouant des francstireurs de Syrie, s'emparant du camp du pacha de Damas, s'illustrant près du Jourdain, prenant possession de l'ancienne Béthulie, tenant un rôle décisif dans maints engagements, blessé par Mustapha pacha qui lui tire à bout portant une balle qui le blesse à la mâchoire.

Derechef, Murat, d'un cour de sabre, lui coupe deux doigts de la main droite et, le faisant saisir par deux soldats, l'envoie au quartier général. Béni des dieux, le Murat : la balle, qui a traversé le visage de part en part, n'a offensé ni mâchoire, ni langue, ni cassé aucune dent. Dès quinze jours plus tard, pas du tout défiguré, il est de nouveau en selle. Pas étonnant qu'il soit des quelques fidèles de Bonaparte au départ d'Egypte. Il voyage à bord de la Carrère avec Lannes et Marmont, alors que Bonaparte navigue sur le Muiron. Il est tout heureux d'échapper à la flotte de Nelson, plus encore de n'être pas soumis à quarantaine quand on arrive à Fréjus. " Nous aimons mieux la peste que les Autrichiens ", disent les Provençaux qui accueillent nos Egyptiens comme des sauveurs.

Au 18 Brumaire, il tient un rôle déterminant. C'est en effet lui qui expulse les députés récalcitrants de l'orangerie de Saint-Cloud. Il s'agit de l'assemblée des Cinq-Cents où figurent de nombreux jacobins. Bonaparte ne sait pas trouver les bons mots qui rassurent. Les cris de : à bas le tyran ! à bas le dictateur ! retentissent. On en vient à un indescriptible tumulte. C'est alors qu'intervient Murat. Non seulement il dégage de toute sa vigueur Bonaparte des députés qui l'encerclent, mais, le soir, il entraîne ses grenadiers à l'assaut, au pas de charge, force les portes de l'Assemblée, se porte vers la tribune sous les injures des députés qui auront en vain calculé de mettre Bonaparte hors la loi. Il hurle : " Citoyens, vous êtes dissous ! " Il fait rouler les tambours. Il peut d'autant mieux se payer de culot qu'il se voit aussi soutenu par des grenadiers de Lefebvre et des hommes de Leclerc. " Soldats ! rugit-il, que l'on me foute tous ces gens-là dehors ! " Baïonnettes et coups de bâton ont vite raison des représentants du peuple. Que serait-il arrivé s'il n'était intervenu ? Un seul moment d'hésitation et tout était perdu.

Qu'on ne s'étonne donc pas si, à peine promu Premier consul, Bonaparte nomme le vaillant complice commandant en chef de la garde consulaire.

Murat obtient mieux encore: la main de Caroline Marie Annonciade Bonaparte, l'une des soeurs du Premier consul, qu'il a connue à Milan fin mai 1797. Ils tombèrent amoureux l'un de l'autre dès le premier regard. Elle est dans tout son éclat. " De jolis bras, nous dit-on, de petites mains exquises de forme et de blancheur, de petits pieds rîtondotti, une peau éblouissante, de belles dents, des épaules très blanches, quoique trop rondes. Elle a beaucoup d'esprit, quoique tourné plutôt vers l'intrigue (" Avec Mme Murat, dira d'elle Napoléon, il faut que je me mette toujours en bataille rangée. " Un petit complot ne sera jamais pour l'effrayer. Talleyrand le dira mieux: " Une tête de Cromwell sur les épaules d'une jeune femme. "). Elle est vive, enjouée, séductrice. Vainement Bonaparte, qui n'est pas enchanté de l'affaire, aura-t-il tout fait pour l'enrayer. Les prétendants ne manquant pas - dont Lannes -, Bonaparte et Joséphine auront beaucoup pensé à Moreau. Mais le Gascon tient bon. Caroline mieux encore.

Ils s'unissent " civilement " dès janvier 1800 dans le temple décadaire du canton de Plailly en Seine-et-Marne (le mariage religieux, " en raison des circonstances ", ne sera célébré que le 4 janvier 1802, en même temps que celui de Louis Bonaparte et Hortense de Beauharnais, par le cardinal Caprara, dans l'intimité).

Murat quitte son logement de la rue des Citoyens et vient s'installer aux Tuileries. Dans le même temps, il acquiert une belle maison de campagne aux environs de Paris, grâce à une largesse du Premier consul qui compense ainsi la dot un peu étriquée de Caroline. Aux deux jeunes gens de filer le parfait amour.

Mais la guerre reprend vite tous ses droits. Murat est de la nouvelle campagne d'Italie. Il est de la victoire de Marengo, qui lui vaut un sabre d'honneur. Il règne en proconsul - à plein bonheur, sur la Toscane.

Dès lors, promotions et exploits se succèdent en veux-tu en voilà. Il est désigné membre du Corps législatif, fameuse distinction pour un ancien " videur de députés ".

Il est en 1804 nommé gouverneur de Paris. On le voit caracoler tout empanaché à travers les rues de la capitale, suivi d'une pléiade d'aides de camp. C'est d'ailleurs à ce titre de gouverneur qu'il restera responsable du procès du duc d'Enghien, sur le vu d'une sommaire justice fusillé dans les fossés du château de Vincennes.

Il amorce une colossale fortune. Une pluie d'or tombe du ciel. Il est fait maréchal d'Empire, Grand Amiral, grand aigle de la Légion d'honneur. Avec l'aide de la cassette impériale, il achète le palais de l'Elysée où, une fois mis à neuf, il loge sa Caroline et leurs trois enfants, Achille, Letizia et Lucien (en attendant Louise qui y naît en 1805). Il y abrite des meubles du meilleur choix et des tableaux aux plus glorieuses signatures, Poussin, Bassano, et un Raphaël offert par le pape.

Grand officier de l'Empire, c'est lui qui, le jour du sacre, précède immédiatement l'Impératrice, portant dévotement sa couronne sur un coussin. Il vit un rêve. Pour autant, il reste disponible pour tous combats.

Commandant la réserve de la cavalerie de la Grande Armée, 20 000 hommes, 14 000 chevaux, 27 pièces d'artillerie, il ouvre la route de Vienne à l'Empereur. C'est lui qui s'empare de la prestigieuse capitale des Habsbourg, au prix d'une fameuse ruse digne d'un Gascon. L'Histoire peut saluer : le Saint Empire germanique a vécu.

Il est magnifique à Austerlitz. Il est fait grand-duc de Berg et de Clèves. L'y voici régnant sous le titre de Joachim ler. 11 effectue une entrée mémorable à Düsseldorf, où il reçoit les clefs d'or de la ville sur un coussin de soie blanche tandis que toutes les cloches sonnent. Bien que frappé par l'annonce de la mort de sa mère, il rayonne la fierté de vivre, étale les tenues les plus somptueuses, organise des fêtes à satiété.

Après Iéna, il capture le prince de Hohenlohe à Prenzlau, oblige Blücher à capituler à Lübeck, entre en vainqueur à Varsovie le 28 novembre 1806. Déçu de ne pas voir l'Empereur lui offrir la couronne royale de Pologne, il n'en continue pas moins de le servir ardemment.

Le 2 décembre, malgré des rafales de neige et la crue des eaux qui charrient d'énormes glaçons, il fait traverser la Vistule à ses plus hardis cavaliers qui dégagent la route de Praga. Toute l'armée suit en chantant. Bien qu'épuisé, malade, fiévreux, il affronte avec le même entrain les Russes accourus à la rescousse, bousculés comme jamais. Il décide du succès d'Eylau. Il prend Koenigsberg.

Commandant en chef en Espagne, il réprime durement l'insurrection de Madrid. Il y va de sa main la plus lourde. C'est le trop fameux El Dos de Mayo, le deux-Mai, qu'immortalisera Goya. Chevaux-légers polonais, mameluks et dragons sabrent la foule.

A la Puerta del Sol, c'est une véritable boucherie. Au reste, Napoléon approuve. Il lui écrit : " Je suis fort aise de la vigueur que vous avez mise. " Il se voit déjà roi d'Espagne. Mais pas du tout. On lui préfère le terne Joseph. Il râle. Heureusement, on lui passe le trône de Joseph à Naples. Le fils du cabaretier de La Bastide qui est roi, sous le nom de Joachim Napoléon ! Ce n'est pourtant de fait qu'une demi-consolation. Il accepte avec une moue cette lointaine et pâle couronne. Il râle encore plus quand on lui refuse le droit d'avoir avec Naples la Sicile. Caroline ne râle pas moins que son mari. Mais il s'empare du moins de Capri: l'ancien repaire de Tibère nargue les Français; les deux milles Anglais qui le tiennent et que commande un certain Hudson Lowe (le futur gouverneur de Sainte-Hélène) s'ingénient à créer mille difficultés ; quoique l'opération ne soit pas aisée, Murat lance son offensive, avec seulement deux mille hommes, à bord de moins de deux cents barques ; l'effet de surprise est total ; en vain les Anglais opposent-ils une résistance acharnée ; tout est liquidé en six jours. Le drapeau bleu-blanc-rouge remplace l'Union Jack sur les tours de Capri.

Les rapports se troublent avec Napoléon. " Ce fou de Murat " prend pour principal conseiller l'ancien conventionnel député montagnard de Corse Cristoforo Saliceti, que l'Empereur n'aime pas. Il entreprend des réformes qui sont mal vues à Paris. Il montre trop de répugnance à appliquer le blocus, lequel handicape à l'excès son peuple. 11 prend position en 1810 contre le mariage autrichien : parce qu'il n'oublie pas que Joséphine l'a toujours soutenu et parce que la nouvelle impératrice, Marie-Louise, fille de François ler, se trouve être la petite-fille de la reine Marie-Caroline de Naples, adversaire directe des Murat.

Par ailleurs, comme à plaisir, Napoléon multiplie les tracasseries. Il se montre insupportablement tatillon. Sans délicatesse, il traite Murat comme le plus vulgaire sujet à sa botte. Il humilie à l'occasion son vice-roi. A Compiègne, il le convoque et lui administre une mémorable algarade. " Monsieur le Maréchal, je vous ferai couper la tête. " Menacé d'une totale disgrâce, il ne doit son salut qu'au besoin qu'a de lui Napoléon pour commander la cavalerie de la campagne de Russie.

Du moins peut-il une nouvelle fois démontrer sa vaillance. Il bouscule de belle manière à Krasnoï la division de Neveroff. Il se distingue à la Moskowa. S'il est battu à Vinkovo, il n'y démérite pas. Ainsi, au passage, réussit-il à obtenir pour son fils aîné, le prince Lucien, la principauté de Pontecorvo, laissée libre par Bernadotte. Il est héroïque durant toute l'infernale retraite. Il y voit fondre sa cavalerie. Au départ de Moscou, on compte encore 10 000 cavaliers avec leur monture. Ils ne sont plus que 4 400 à Smolensk, 1800 au passage de la Beresina, où les ravages sont plus sanglants encore. Lui reste magnifique.

Témoignage du Journal de Castellane: " Il est impossible de voir un homme plus brave que le roi de Naples; il s'expose plus qu'un soldat ; il ne tire pas un coup de fusil qu'il n'y soit dans le costume ci-après : un grand chapeau bordé d'un large galon d'or à plumet blanc surmonté d'une aigrette blanche, très haut, entouré d'autres panaches, cheveux longs bouclés, pelisse verte de velours brodé d'or; dessous, une tunique bleu de ciel, également brodée d'or à larges brandebourgs ; il la porte souvent sans sa pelisse ; un pantalon cramoisi à la polonaise, galonné d'or; des bottes jaunes. "

On ne saurait mieux se proposer aux tirs des francs-tireurs cosaques. C'est qu'il n'aura jamais eu peur de toute sa vie. C'est qu'il reste, au tumulte des pires difficultés, aussi extravagant dans son courage que dans son apparat. Pas étonnant qu'on l'ait toujours tenu pour le plus beau cavalier pavaneur d'Europe.

Mais il n'a surtout qu'une hâte : regagner son royaume. De plus, il est écoeuré : le désordre est total ; tous les convois sont pillés et brûlés ; les cosaques ont toutes les audaces ; la démoralisation est générale. C'est une horde qu'il conduit quand il repasse le Niémen, abandonne la ligne du fleuve pour les places fortes de la Vistule. Seul Macdonald évacue la Courlande de façon parfaite. Chez Murat, rien ne va plus. Puis les corps prussiens de la Grande Armée font d'un bloc défection. C'est un coup terrible. Le poignard est planté dans le dos.

Cette fois, le désastre est inévitable. Ce n'est plus une retraite, c'est une débâcle. Il refuse de participer à la campagne d'Allemagne. En vain Berthier, Daru, le prince Eugène lui demandent-ils de rester. Il s'en va. " Extravagance ", dit Napoléon. Murat se persuade néanmoins d'autant plus avoir été bien inspiré qu'il est reçu à Naples le 4 février sous les acclamations de ses sujets. Mais il dérape vite. Il prend contact avec les Autrichiens. Pris d'un soudain remords, il a beau rejoindre au galop à nouveau la Grande Armée, être des bataillons de Dresde et de Dantzig, il n'a plus plein coeur à l'épopée napoléonienne. En novembre 1813, de retour à Naples en proie à des crises de dépression, irascible en diable, il reprend langue avec Vienne. Au moins sauver l'avenir, tel est son souci. Il trahit carrément Napoléon. Il signe avec Londres et Vienne un traité qui l'engage à leur fournir 30 000 hommes, sous seule condition qu'il gardera ses Etats. De fait, il n'est plus que le sujet de la confusion.

Tout se passe comme s'il perdait toute raison. Ou y a-t-il effet de vertige, de panique, provoqué par des problèmes qui le dépassent ? Tantôt, pour protéger son royaume, en mars 1814, il guerroie contre le prince Eugène qu'il oblige à se retirer au-delà de l'Adige. Tantôt, furieux que le Congrès de Vienne ne soit pas favorable à son maintien sur son trône, il rallie à nouveau le camp napoléonien. Il appelle à soutenir l'Empereur à son retour de l'île d'Elbe et, dans sa proclamation de Rimini, promet aux Italiens l'indépendance. " Viva l'Italia " - mais Napoléon le congédie sans façon, tandis que les Alliés rétablissent Ferdinand dans tous ses droits sur le royaume de Naples. La terre tremble, soupire Caroline. La commedia è finita, ironisent les adversaires. Chateaubriand peut écrire que Murat a déjà " la peste des vaincus ", qui ne tardera guère à attaquer Napoléon lui-même.

C'est la fin. Vaincu par les Autrichiens à Tolentino, il ne trouve pas le moindre refuge dans son pays où sa tête est mise à prix. Après Waterloo, il s'enfuit en Corse, débarque à Bastia d'où il est honteusement chassé. Une flottille, de nuit, sous responsabilité de l'ancien corsaire maltais Barbara, emporte Murat vers ses dernières heures. Incroyable : il croit encore pouvoir reconquérir son royaume; il pense être en mesure de rassembler des troupes - alors qu'il n'a avec lui qu'une escouade de quelques compagnons plus ou moins éclopés. C'est le 8 octobre 1815. Il débarque au Pizzo en Calabre. Il comptait être ovationné : les paysans lui tirent dessus. Il est arrêté dans la journée même, incarcéré au château jadis construit par Ferdinand d'Aragon pour assurer la défense des côtes. Une commission de sept membres se saisit en toute hâte du dossier. Il est condamné à mort en quelques minutes. A peine lui laisse-t-on quelques instants pour écrire à sa femme. A peine peut-il se confesser auprès du chanoine Maesda qui racontera son exécution. On le pousse sur " un endroit un peu surélevé ". Il ouvre ses vêtements et " dégage sa poitrine avec ses mains ". Tirez, ordonne-t-il. Il tombe.